À la recherche d’une cure contre le cancer dans votre ADN

Intelligence artificielle

Le docteur Steve Jones a grandi au pays de Galles et, à l’époque, il était fasciné par la résolution d’énigmes et la recherche de solutions à des problèmes épineux.

Depuis, les choses n’ont pas changé.

À titre de chef du service de biométrie de la BC Cancer Agency, le docteur Jones arrive à son laboratoire chaque matin avec la ferme intention de sauver des vies. Il utilise l’information tirée du séquençage de l’ADN de tumeurs, qu’il soumet par la suite à une analyse informatique, pour déterminer avec précision le médicament en mesure de s’attaquer à une tumeur donnée et de la détruire. Fondée sur la haute technologie, cette méthode permet de trouver des solutions aux cas les plus difficiles, comme celui d’un patient atteint du cancer du poumon.

«Nous avons effectué plusieurs analyses qui ont abouti à un meilleur choix de médicaments et ont aidé le patient», affirme le docteur Jones, codirecteur du Michael Smith Genome Sciences Centre de la BC Cancer Agency à Vancouver.

«Si nous parvenons à y intégrer l’apprentissage automatique», poursuit-il en faisant référence à l’intelligence artificielle, «nous obtiendrons des résultats encore plus probants.»

La BC Cancer Agency est le seul établissement canadien, en conjonction avec 13 autres centres de lutte contre le cancer de premier plan, qui travaille en collaboration avec IBM au développement d’un système d’intelligence artificielle (aussi appelée informatique cognitive) conçu pour aider les cliniciens à déterminer les traitements possibles, puis à les personnaliser.

La combinaison du savoir que le centre a accumulé au fil de ses nombreuses recherches sur le cancer et de l’analyse du patrimoine génétique distinctif d’un patient mène à l’élaboration de traitements qui sauvent des vies d’une manière inédite. Le cancer est «une mosaïque complexe de changements survenant dans les trois milliards de paires de bases de votre génome. Le cerveau humain a de la difficulté à assimiler toute cette information», précise le docteur Jones.

L’intelligence artificielle décode toute cette information grâce à Watson, le système cognitif évolué développé par IBM. Ce système arrive à personnaliser les traitements possibles en traduisant les connaissances sur l’ADN et le profil génétique d’une personne, et en recueillant des renseignements pertinents dans la littérature médicale. Ensuite, il détermine les médicaments ou les traitements existants les plus efficaces pour chaque profil génétique particulier.

«La machine, l’ordinateur ou le logiciel apprend des nombreuses tumeurs qu’il a vues et se rappelle les changements spécifiques de chaque tumeur qu’il a vue», affirme le docteur Jones.

Il est en mesure de déterminer les mutations passagères (non importantes) dans une tumeur et celles qui font progresser la maladie.

«Fait encore plus intéressant, l’ordinateur peut apprendre et peut probablement détecter de subtiles caractéristiques latentes dans la biologie moléculaire du cancer, des caractéristiques que nous n’arrivons pas à voir.»

Il y a fort à parier que ce soit une ou plusieurs de ces «subtiles caractéristiques latentes» qui répondent le mieux à un traitement existant. «Il y aura des sous-ensembles de tumeurs présentant des mutations différentes», affirme le docteur Jones.

Sans l’informatique cognitive, il serait ardu, voire impossible, d’apprécier l’importance de ces différences et les liens qui les unissent, et de les comparer aux tumeurs analysées dans le passé.

«Imaginez que vous êtes dans une pièce plongée dans le noir où il y a une cible», explique le docteur Igor Jurisica, scientifique principal du IBM Life Sciences Discovery Center au Princess Margaret Cancer Centre de Toronto et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’informatique intégrative en cancérologie. «Si vous ouvrez le feu avec une mitrailleuse, vous espérez qu’au moins une des balles touche la cible. Mais si vous êtes muni d’une lampe de poche, vous avez besoin d’une seule balle pour viser juste.»

L’informatique cognitive pourrait éliminer beaucoup des premières rondes inutiles dans les protocoles de traitement standards, qui se révèlent souvent inefficaces. Cela permettrait de gagner du temps, de minimiser le traumatisme subi par le patient et de faire des économies.

«Si tous les hôpitaux d’Amérique du Nord consignaient le profil de mutation de chaque tumeur en y indiquant la tumeur, la mutation, les médicaments administrés au patient et la réponse ou l’absence de réponse au traitement, nous apprendrions énormément, et l’informatique rend cette façon de procéder possible, précise le docteur Jones. Nous progressons dans cette direction. Le partage des données est à la base de beaucoup des avancées actuellement à notre portée.»

 

 

Une multitude de connaissances

Fait exceptionnel, Watson peut lire et assimiler des données et des publications médicales en langage naturel : il n’a pas besoin qu’elles soient programmées en langage informatique au préalable. Ensuite, il peut immédiatement discuter en langage naturel avec les cliniciens.

«Avec tout ce qui se publie de nos jours, les cliniciens qui cherchent à se tenir à jour sont vite dépassés», reconnaît Steve Harvey, vice-président d’IBM Watson Genomics. «L’an passé, il s’est publié quelque 160 000 articles sur le cancer dans PubMed. Même si les cliniciens prenaient connaissance de tous ces articles, les résultats décrits dans la majorité d’entre eux ne peuvent pas être reproduits en dehors du cadre de ces études. Il faut un autre niveau dans la prise de décisions, soit un moyen de recueillir ces connaissances et ces faits pour optimiser les décisions prises en ce qui concerne les traitements.»

Selon M. Harvey, même avec ces thérapies ciblées, il est possible que les patients deviennent résistants à un médicament au fil du temps. Or, c’est un défi que Watson peut nous aider à relever. «En disposant de différentes options fondées sur la génétique du patient, nous constaterons peut-être qu’un patient répond bien à une thérapie ciblée pendant une période. Par contre, s’il a une autre altération génétique, celle-ci peut être traitée par un autre médicament. Cela donne une autre possibilité à l’oncologue.»

Bien que les patients n’interagissent pas avec Watson, ils seront rassurés de savoir que les spécialistes qui les traitent ont accès à toute l’information utile sur la composition moléculaire de leur cancer et que ces derniers connaissent les traitements qui ont le mieux fonctionné jusqu’à maintenant.

«Lorsqu’ils traitent des personnes dont la maladie progresse et qui ne répondent pas bien aux traitements standards, les oncologues peuvent se tourner vers le séquençage génétique», explique M. Harvey. Il en résultera des traitements ciblés et, dans certains cas, inusités.

«Les patients, quant à eux, voudront pour la plupart que leur oncologue leur présente les options les plus viables»

affirme M. Harvey.

«La technologie leur confère cette capacité.»

«IBM a pris la technologie Watson», a résumé Dave Schubmehl, directeur en chef de la recherche sur l’informatique cognitive chez International Data Corporation, et l’a combinée à «l’ensemble des données, de l’information et des connaissances» issues du Memorial Sloan Kettering Cancer Centre de New York et d’autres institutions.

«J’aime à penser qu’il s’agit de la démocratisation des soins de santé», a-t-il avancé.

Pour d’autres, il s’agit d’un nouvel espoir dans le combat visant à éradiquer le cancer.