Prévoir la dépression nerveuse d’un patient à l’aide de la linguistique : mode d’emploi

Intelligence artificielle

«Le feu. L’eau. L’énergie.»
C’est la réponse qu’une jeune femme a donné à sa conseillère en santé mentale, Purple Weber, après que cette dernière lui a posé la question suivante : «Pourquoi pensez-vous que tout est contaminé?»

La cliente de Mme Weber souffre de schizophrénie et elle perçoit le monde qui l’entoure comme un danger, un complot menaçant. Son délire est un symptôme de sa maladie, tout comme le langage et la syntaxe qu’elle emploie.

«Elle me sort des mots qui n’ont pas de lien entre eux», explique Mme Weber, qui travaille pour la Société de schizophrénie de l’Ontario. «On est en présence de confusion cognitive.»

D’autres clients, affirme-t-elle, «créent des mots ou prêtent un sens nouveau aux mots qu’ils utilisent». Un paranoïaque utilise systématiquement l’expression «visage impassible» pour décrire les gens qui, selon lui, le suivent. «Nous ne sommes pas sûrs si ce sont les pensées qui déraillent, explique Mme Weber, ou certaines des connexions dans le langage.»

Dans les deux cas, un modèle inhabituel de communication, à savoir «des lacunes, des éléments manquants, des incohérences ou des connexions qui sortent de l’ordinaire», révèle une certaine désorganisation dans la façon de fonctionner de l’esprit.

Mais souvent, même en écoutant l’enregistrement des séances ou en en lisant la transcription, fait remarquer Mme Weber, «nous passons à côté du langage, un morceau pourtant très important du puzzle». Selon elle, «s’il y avait des logiciels pour analyser le langage des patients, cela serait vraiment très utile et beaucoup plus scientifique».

En fait, de tels logiciels existent. Dans le cadre de son travail, le docteur Guillermo Cecchi, neuroscientifique computationnel du Centre de recherche Watson d’IBM, applique la linguistique computationnelle, à l’aide d’échantillons de parole, à des troubles psychiatriques, comme la schizophrénie, les manies et même la consommation de drogue ou d’alcool.

«J’aborde la science informatique sous l’angle de mon intérêt particulier pour la santé mentale», explique le docteur Cecchi.

C’est maintenant possible grâce à l’intelligence améliorée d’IBM Watson, qui est en mesure de reconnaître, de comprendre et de communiquer en utilisant le langage naturel.

«La parole est un signal, dit-il. Les praticiens l’utilisent sur le terrain tous les jours. Maintenant, nous possédons des outils extrêmement puissants pour analyser le langage sans dépendre du jugement d’un médecin en particulier.»

Or, le docteur Cecchi et son équipe Watson poussent la linguistique computationnelle au-delà du diagnostic.

«Ce qui me passionne, c’est l’idée d’utiliser le langage comme outil pronostique, révèle-t-il.»

«Quand nous avons commencé à travailler avec les premiers ensembles de données, nous avons été surpris de trouver le signal si rapidement.»

À force d’affiner les données et de reconnaître la complexité, explique-t-il, «nous avons réalisé dès le départ que le signal était prédictif». Autrement dit, la recherche du docteur Cecchi a démontré que Watson arrive à prédire un épisode psychotique chez des jeunes à risque et peut aussi déterminer lesquels d’entre eux présentent un risque plus élevé.

«Il est possible de surveiller le patient à une fréquence très élevée», explique le docteur Cecchi.

Et d’ajouter : «Il y a des villages éloignés en Inde, par exemple, où il n’y a pas de psychiatre ni de médecin. Cette technologie rend l’évaluation à distance possible. Un psychiatre de formation à New Delhi serait en mesure de l’utiliser et d’envoyer un travailleur social dans ce village.»

«Nous considérons que c’est l’utilisation principale de cette technologie, précise-t-il, l’accès immédiat au patient à une fréquence élevée et ce, même dans le cas des patients immobilisés.»

Le docteur Cecchi décrit cette nouvelle possibilité comme «l’extension de la psychiatrie à une population beaucoup plus grande.»

Nous sommes confrontés, dit-il, «à un besoin criant de nouvelles approches en santé mentale. Il s’agit du volet des soins de santé le plus important dans la plupart des pays. Pourtant, les techniques actuellement utilisées dans la pose de diagnostic diffèrent très peu de celles employées il y a 100 ans.»

L’intelligence artificielle contre l’arthrite

L’intelligence artificielle, aussi appelée informatique cognitive, est appelée à transformer beaucoup d’autres domaines du secteur de la santé.

Au IBM Life Sciences Discovery Center du Princess Margaret Cancer Centre de Toronto, Igor Jurisica, scientifique principal, a utilisé l’intelligence artificielle et des ressources WorldCommunityGrid dans le repérage de signatures pronostiques et prédictives pour traiter le cancer du poumon, une technique qu’il applique maintenant au cancer de l’ovaire.

Il est possible d’appliquer les mêmes techniques et la même analyse des données à d’autres maladies, précise-t-il. «Tout ce que nous avons développé serait applicable au diabète, aux maladies cardiaques et à l’arthrite.»

L’analyse computationnelle pourrait

«faire ressortir des marqueurs permettant de déterminer qui a besoin de quel traitement et de trier les patients adéquatement».

À l’heure actuelle, l’équipe du docteur Jurisica met les bouchées doubles dans son travail sur l’arthrite. Cette maladie, avance-t-il, «coûte beaucoup plus cher au Canada que le cancer. C’est une maladie à long terme que les gens doivent endurer de très nombreuses années. L’amélioration du diagnostic et des traitements pourrait énormément améliorer la qualité de vie».

Pour la première fois, son laboratoire utilise l’intelligence artificielle dans le but de combiner trois types d’information sur les patients atteints d’arthrite : de l’information clinique provenant des dossiers des patients, l’analyse moléculaire des gènes, de l’ADN et des micro-ARN, et les données issues des appareils portables. L’initiative vise à déterminer quels sont les patients souffrant d’arthrite qui bénéficieraient le plus d’une chirurgie et ceux qui profiteraient le plus de la psychothérapie.

Le docteur affirme que l’ajout de Watson dans l’équation vient mettre la dernière touche au tableau en «regroupant toute la documentation pertinente sur l’arthrite».

Dave Schubmehl, analyste en recherche qui couvre l’informatique cognitive chez International Data Corporation, affirme qu’il n’est pas surpris qu’IBM voie bien au-delà de l’application d’oncologie avant-gardiste de Watson. «IBM collabore avec des entreprises pharmaceutiques à la simplification des efforts de recherche de base afin de découvrir quelles substances causent quelles réactions et de déterminer les indications relatives aux médicaments. Elle les aide à faire des liens entre chaque élément», conclut-il.