L’intelligence artificielle, planche de salut pour sortir de la crise du pétrole?

Intelligence artificielle

Le prix du baril de pétrole demeure immuablement bas et, à l’échelle mondiale, de vastes pans du secteur pétrolier et gazier restent embourbés dans une grave crise économique.

Alors qu’il devient de plus en plus improbable d’obtenir un rendement de 100 $ du baril, le seul espoir qu’entretiennent les entreprises pétrolières cherchant à rentabiliser leur production réside dans l’amélioration de la productivité et de l’efficacité.

 

Heureusement, des solutions technologiques conçues précisément à cette fin font leur apparition dans les sables bitumineux canadiens et partout dans le monde.

L’informatique cognitive figure au nombre des initiatives majeures visant à aider les producteurs de pétrole à simplifier leurs opérations. Il s’agit d’ordinateurs qui ne se contentent pas de traiter l’information, mais qui pensent pour vrai, améliorant la façon dont les humains analysent les données et suggérant de meilleures manières d’accomplir le travail.

«Le pétrole est à 40 $ le baril au lieu de 80 $. C’est pourquoi l’industrie, dans sa quête d’efficacité et de rentabilité découlant des plus petites marges avec lesquelles elle doit composer, adopte de nouvelles technologies, et l’informatique cognitive est exactement ce qu’elle recherche à l’heure actuelle»

affirme Martin Bélanger, fournisseur de solutions gazières et pétrolières au Centre de solutions IBM pour les ressources naturelles à Calgary.

L’informatique cognitive a déjà progressé depuis qu’elle a été placée sous les feux de la rampe au moment où Watson, le système cognitif d’IBM, a battu deux des grands champions de l’émission Jeopardy! en 2011.

La puissance de Watson, que l’on appelle également intelligence artificielle ou intelligence améliorée, a gagné le secteur du gaz et du pétrole aux États-Unis, en Australie et dans les sables bitumineux canadiens. En Australie, plusieurs producteurs utilisent la version pilote d’un système cognitif dédié portant le nom de Watson Cognitive Oil Field afin d’accroître le degré de productivité, d’efficacité et de sécurité dans la prospection et l’exploitation.

«L’informatique cognitive accomplit trois choses importantes», précise M. Bélanger. «D’abord, c’est une façon d’interagir avec un ordinateur en langage naturel. Bien que cela puisse paraître simple, le langage humain est rempli de métaphores et de structures compliquées. Or, avec Watson, si je dis “Mon nez coule et mes pieds sentent mauvais”, il sait que ces affirmations font référence à la condition de mon nez et à l’odeur de mes pieds.»

Fait d’une plus grande importance encore pour le secteur gazier et pétrolier, l’intelligence artificielle reconnait des formes et des données allant au-delà des simples chiffres et tableaux représentant l’information. «Nos ordinateurs cognitifs peuvent déchiffrer une image; ils peuvent comprendre un texte et en extraire le sens», explique M. Bélanger. C’est ce que nous appelons les «données enrichies» qui, à son avis, sont très abondantes et importantes dans le secteur gazier et pétrolier.

«Ce sont des systèmes experts que nous utilisons lorsque le spécialiste ne peut se rendre sur les lieux [parce que c’est trop loin ou trop dangereux]»

affirme Henry Kim, professeur agrégé en technologies décisionnelles à la Schulich School of Business de l’Université York.

Le troisième avantage que les ordinateurs semblables à Watson présentent comparativement à leurs cousins plus traditionnels réside dans leur capacité à apprendre au travail beaucoup plus rapidement. Habituellement, les entreprises énergétiques sont bombardées de données complexes qu’elles doivent comprendre et analyser promptement, et l’intelligence artificielle accélère ce processus clé.

À titre d’exemple, l’informatique cognitive améliore grandement la cueillette de données sismiques et leur interprétation.

«Auparavant, les données sismiques étaient en deux dimensions. Maintenant, elles se présentent en trois dimensions, parfois même en quatre, fait remarquer M. Bélanger. Vous avez peut-être vu des vidéos à ce sujet : ça ressemble à un tas de gribouillis. La technologie essaie de comprendre un réservoir se trouvant un mille sous terre. Les humains sont poussés dans leurs derniers retranchements quand vient le temps d’interpréter ce type d’information, et Watson est là pour les aider.»

Dans le cadre d’un projet canadien, on déploie l’informatique cognitive dans le but d’optimiser le drainage par gravité au moyen de vapeur (SAGD), une des principales méthodes employées pour extraire le bitume des sables bitumineux. L’objectif de cette initiative consiste à faire appel à la sagesse de Watson pour extraire davantage de pétrole en utilisant la même quantité de vapeur, une méthode d’extraction de l’or noir qui se veut moins énergivore.

À l’aide d’un téléphone, d’une tablette ou d’un ordinateur portable, un ingénieur peut se servir de l’analyse de Watson afin de déterminer précisément où appliquer la vapeur pour extraire le pétrole et pour calibrer le volume de vapeur à utiliser.

Des ententes de confidentialité empêchent IBM de divulguer des renseignements sur les projets gaziers et pétroliers spécifiques auxquels Watson participe. Cela dit, M. Bélanger affirme qu’un grand nombre d’entreprises se montrent intéressées à adopter Watson et des technologies semblables, car celles-ci rendent la prospection et l’exploitation du pétrole et du gaz plus économiques et plus sûres à long terme.

«Les entreprises essayent de décider où creuser et dépenser 25 millions de dollars ou plus. C’est pourquoi elles font partie des acheteurs très précoces de telles solutions.»

«J’aime la vision à long terme que cela suppose»

fait valoir Joyce Janczyn, chef de l’exploitation de Datifex, Inc., une jeune entreprise située à Toronto qui utilise l’animation et la technologie des jeux pour devenir plus cognitive, en quelque sorte.

«La nature même des données est en train de changer fondamentalement. Les gens posent des capteurs partout. Beaucoup d’entre eux disposent de données, qu’ils veulent maintenant voir.»

Comme on pourrait s’y attendre d’une plateforme informatique dont le raisonnement est si évolué qu’elle frôle la sentience, l’apport de Watson ne se limite pas qu’à l’industrie lourde, et il y a des similitudes entre les secteurs d’activité qui requièrent ses services, bien que ceux-ci semblent complètement différents à tout autre égard.

«Très tôt, nous avons utilisé Watson dans le domaine médical. Il aide les médecins à mieux diagnostiquer les cancers, fait remarquer M. Bélanger. En fait, il y a des parallèles fascinants à établir entre un patient [à diagnostiquer] et un puits de pétrole. Nous essayons de régler les problèmes de la même manière, particulièrement en ce qui concerne la production venant du puits.»

Un médecin qui doit prendre des décisions médicales en un rien de temps n’a pas nécessairement les derniers résultats de recherche à portée de main. Un système cognitif, lui, les a. Pareillement, «un ingénieur de production aux prises avec un puits dont le rendement laisse à désirer depuis peu n’est plus limité à sa propre connaissance de ce puits», explique M. Bélanger.

L’informatique cognitive se révèle particulièrement utile dans la conjoncture économique actuelle, car le secteur pétrolier et gazier est «perturbé», si l’on en croit M. Bélanger.

Les progrès rapides de l’intelligence artificielle sont remarquables, de même que la grande diminution de son prix, selon le professeur Kim de la Schulich.

«En 1977, on développait un système expert à l’Université Stanford destiné à la prospection minérale, un des tout premiers du genre. Le système essayait de représenter le savoir et le raisonnement de géologues, affirme-t-il. Il représentait 1 000 règles utilisées par des géologues chevronnés.» Selon la loi de Moore, qui postule que la puissance informatique double à tous les 18 mois, «un ordinateur valant 50 $ aujourd’hui aurait coûté 500 millions de dollars en 1977», explique le professeur Kim.

Si on utilise la même échelle, l’ordinateur qui avait saisi l’expertise de 1 000 règles d’ingénierie en 1977 aurait maintenant évolué en «un système informatique cognitif comparable pour les sables bitumineux. Il serait en mesure de prendre des décisions en se basant sur 10 milliards de règles acquises que des humains ou des machines lui auraient fournies et qu’il pourrait appliquer aux données provenant des capteurs, aux conditions météorologiques, aux rapports et aux données machine».

Voilà qui donne matière à réflexion au secteur de l’énergie et même à un ordinateur cognitif.